Discours du Premier ministre, François FILLON «Cérémonies de commémoration du massacre d’Oradour sur Glane» Mercredi 10 juin 2009

 

Monsieur le Ministre,

Mesdames et Messieurs les parlementaires,

Madame le Préfet,

Monsieur le maire d’Oradour sur Glane,

Monsieur le président de l’association nationale des familles des martyrs,

Mesdames et Messieurs les élus de Haute-Vienne, d’Alsace, des communes soeurs et associées,

Mesdames et Messieurs les représentants des associations de mémoire civiles et combattantes, Mesdames et Messieurs,

 

Raymond FRUGIER, maire d’Oradour, a prononcé, pour clore cet après-midi d’hommage, les mots graves qu’appellent ses responsabilités d’élu et son rôle d’interprète de la mémoire communale. Je salue le courage avec lequel, depuis des années, il donne aux souffrances de ces lieux une voix humaine.

 

D’autres chefs d’Etats et de Gouvernement l’ont reconnu ici: passent les années, passent les époques, prendre la parole à Oradour reste d’une difficulté extrême.

 

Cet après-midi, dans le village martyr, nous avons marché de silence en silence.

Maison après maison, nous nous sommes heurtés à cette présence muette de la barbarie et à ses traces: portails béants, murs éventrés, fenêtre ouvertes comme des cris.

Le silence d’Oradour est de ceux qu’on ne rompt pas, sinon pour dire l’émotion de la France.

 

Ici, dans l’église calcinée, dans les fosses, dans les puits transformés en ossuaires, la France a fondu pour toujours sa douleur au vieux sol limousin.

Enracinée au plus profond des cœurs, une même compassion associe les soixante millions de Français aux 642 victimes de la division Das Reich.

Pour chaque habitant d’Oradour, notre peuple se souvient et se recueille.

 

J’ai visité à l’instant les ruines de l’ancien village et j’ai regardé ses façades.

J’ai éprouvé le sentiment hallucinant que les visions les plus opposées se superposaient tout à coup.

La sérénité des environs et la sauvagerie de la guerre.

L’insouciance des habitants et le surgissement de la barbarie.

L’immobilité des murs et la présence toujours vivante du quotidien.

L’Oradour des sépulcres, et celui, impossible à oublier, des commerces, des marchés, des écoles où fusaient les rires des enfants.

 

Le 10 juin 1944, il n’existe à Oradour ni maquis, ni dépôt d’armes.

Une distribution de viande et de tabac rassemble les villageois au bourg.

Quelques citadins arrivent de Limoges, par le tram. Une population tranquille arpente les rues. Elle ose à peine évoquer les promesses du débarquement allié, quand pour la première fois, après cinq ans de guerre, le déploiement militaire la surprend.

 

A 13h45, les troupes nazies sont là, nombreuses, cernant le village, l’investissant comme un objectif de campagne.

A l’heure où tout espoir est perdu pour l’Allemagne, une division blindée fanatique, au sein de laquelle figuraient, hélas, certains de nos compatriotes, fait le choix de la terreur.

Des bâtiments fouillés sortent des réfugiés, des malades, des vieillards, des enfants...

 

L’arme au poing, l’occupant regroupe sans ménagement des civils qui sont l’image même de l’impuissance. On presse les femmes dans l’église. On rassemble les hommes dans six locaux, qui vont devenir six lieux d’exécution.

Quand les premiers tirs partent, ils atteignent une population stupéfaite.

Là où la cruauté la plus absolue s’abat, elle trouve l’innocence la plus entière. Au creuset de leur rencontre, se forme le symbole même de l’épreuve nationale.

 

Mesdames et Messieurs,

 

Quand les bourreaux d’Oradour croyaient arracher je ne sais quelle victoire, ils perdaient le peu qu’ils conservaient de dignité.

Leurs actes confirmaient cette leçon essentielle: le mal absolu peut à tout instant jaillir en l’homme.

Mais aucune cause, aucune guerre, ne se gagnent, quand elles sont menées contre l’honneur et contre le respect de l’humanité.

 

Le 9 juin, veille du massacre, les soldats de la division Das Reich avaient pendu aux balcons de Tulle 99 hommes et jeunes gens. On a souvent commenté ce chiffre, pour en faire un symbole de l’arbitraire et de la férocité la plus insensée.

Arbitraire, les exécutions sommaires, à la veille d’une défaite annoncée.

Arbitraire, la liquidation des innocents, des désarmés, des plus faibles.

Arbitraire, le tri opéré par les Nazis, qui aux abords d’Oradour raflent les uns, épargnent les autres, sans raison ni logique.

Arbitraire et insensé, sans doute, mais pas sans leçons.

 

Que les massacres de Tulle et d’Oradour aient pu se dérouler sur le sol français nous assigne en effet un double devoir : chaque fois qu’un drame comparable peut être évité, de mobiliser toutes nos forces pour empêcher qu’il survienne ; et s’il survient, de mobiliser toute notre volonté pour en faire justice.

 

Ici, l’âme des innocents nous parle, comme elle nous parle à Auschwitz, à Ascq, à Chateaubriand, et elles se mêlent à celles des combattants de Verdun, du Vercors...

Sous la terre européenne reposent les cendres de tous ceux qui furent emportés par les persécutions et les guerres incessantes qui déchirèrent notre continent.

Nous avons fait l’Europe de la paix, et nous sommes ensemble les gardiens de ce trésor. Instruite par ses terribles blessures, l’Union européenne ne doit jamais renoncer à défendre les valeurs de la tolérance et du respect de la vie. Ces valeurs exigent vigilance et courage.

 

Nous devons, nous européens, agir là où la dignité de l’homme est brisée. Nous devons toujours préférer la justice aux facilités de l’indifférence.

Dans les années plus récentes, d’autres villages, au Kurdistan, au Rwanda, en Bosnie, au Congo, ont connu le sort d’Oradour.

D’autres milices ont cru qu’elles pourraient, au prix d’un anéantissement total, s’assurer une complète impunité.

 

Mais nos tribunaux internationaux gagnent chaque jour en portée, leurs travaux progressent, et leurs jugements sont de plus en plus rigoureux.

 

Je sais que le crime d’Oradour s’est prolongé, des années durant, d’un cortège de défaillances, de la part des pays concernés.

 

Je sais qu’à Oradour, la justice, au lieu de sceller les fautes et les peines des coupables, a entretenu l’amertume des victimes.

Depuis lors, la reconnaissance d’Oradour comme « village martyr » et l’ouverture du Centre de la Mémoire témoignent de l’engagement de l’Etat et du département aux côtés de la commune, dans un combat permanent pour la connaissance de l’Histoire.

La vraie justice rendue au village est aujourd’hui celle de la conscience nationale. Elle embrasse le chagrin de vos familles, et leur soif de vérité.

 

Les combats de la mémoire ne sont pas, Mesdames et Messieurs, des combats d’arrière-garde. Nous ne respectons pas les ruines d’Oradour, ses maisons vides, ses voitures figées, pour que le temps s’arrête, mais pour pouvoir continuer de vivre.

Nous ne venons pas ici par esprit de revanche, mais par besoin de comprendre.

 

Nous ne venons pas pour nous abîmer dans la fascination de l’horreur, mais pour repartir plus aguerris vers nos responsabilités et nos combats quotidiens.

Nous venons nous armer de tolérance et de volonté.

Parce que le mémorial d’Oradour n’est pas seulement celui d’une génération meurtrie mais celui de la souffrance humaine, il doit demeurer aussi longtemps que cette dernière existera. Il devra toujours éclairer les consciences.

 

Aujourd’hui, 65 ans après les faits, chaque cérémonie commémorative inspire les mêmes déchirures intimes, mais aussi les mêmes doutes et les mêmes inquiétudes.

Que ferons-nous, quand les derniers témoins de la Seconde Guerre mondiale nous auront quittés ?

Saurons-nous perpétuer les leçons de l’Histoire, quand ses victimes et ses héros auront disparu ?

A ces questions graves, j’apporte la réponse de la République.

Notre pays n’oubliera jamais ! La France que nous aimons, la France fidèle au pacte sacré de la liberté et de la dignité humaine, ne rompra pas le fil de sa mémoire.

Partout, le gouvernement, les historiens, les enseignants, les chercheurs, les élus travaillent aujourd’hui à donner à cette mémoire d’autres supports, d’autres relais.

Partout, nous continuons d’entretenir la flamme du souvenir.

 

Je sais, monsieur le Maire, que les survivants d’Oradour, les habitants du village neuf, ont porté pendant des décennies la blessure d’un deuil qui les dépassait parfois.

Je veux leur dire que chaque année, à travers les visiteurs français et étrangers, toute l’Europe prend sur elle une partie de leur deuil ; et qu’elle apprend de leur dignité.

Je les remercie de leur présence et de leur fidélité.

Aux portes de l’ancien Oradour, ils veillent en sentinelles devant l’honneur du pays. Ils témoignent pour une certaine idée de l’homme.