Allocution de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, lors de la commémoration du massacre du 10 juin 1944

 

Madame le Ministre,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président de l’Association nationale des familles des martyrs,

Monsieur le Maire,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs,

 

« Des cendres humaines, jusqu’aux genoux » a relaté un des premiers témoins.

 

213 enfants.

246 femmes.

642 martyrs.

 

L’indicible. L’inexplicable. L’inoubliable était commis.

 

C’était Oradour-sur-Glane. Le 10 juin 1944.

 

Jamais, la France ne l’a oublié. Jamais, la France ne l’oubliera.

 

Ce matin-là, pourtant, la journée s’annonçait comme une des plus longues, une des plus belles de l’année.

 

Ce matin-là, au prix de combats dantesques, l’espoir renaissait sur les plages de Normandie.

 

Ce matin-là, nous le savons, un crime était planifié. Il devait semer la terreur, frapper les âmes, défier les consciences.

 

Ce matin-là, un village de France est encerclé.

 

En début d’après-midi, ses habitants sont systématiquement rassemblés.

 

16 heures. Des granges brûlent. Le massacre des hommes vient de commencer.

 

17 heures. C’est maintenant de l’église – de ce havre de paix, ultime lieu d’asile – c’est de l’église que des flammes s’élèvent.

 

Les enfants – 7 d’entre eux n’ont pas six mois –les enfants et les femmes sont livrés à un martyre que je ne veux décrire.

 

Mais tout n’est pas encore accompli et tout doit l’être. Commis sans raisons, le crime est exécuté avec méthode. Longtemps encore, au gré de destructions ordonnées et d’une chasse à l’homme sans merci, le mal poursuit sa besogne.

 

C’était Oradour-sur-Glane. Le 10 juin 1944.

 

Soixante années ont passé. Jamais, la France ne l’a oublié. Jamais, la France ne l’oubliera.

 

Je suis venu l’attester, partager votre recueillement et emprunter le chemin de l’espoir que vous avez su tracer.

 

Cette tragédie pour la Nation, cette tragédie pour l’humanité est, d’abord, la vôtre. Cette douleur collective est, pour vous, une souffrance familiale, amicale, intime.

 

Avec une émotion que vous sentez intense, accrue par ce que je viens de voir, pour la première fois... Avec, pour tant de souffrance, un respect profond...

 

Avec, devant tant de malheur, d’infinies précautions...

 

Mais aussi avec une inébranlable foi dans le destin de notre pays et la victoire de ses valeurs...

 

Je vous apporte le salut du Président de la République, du Gouvernement, des Françaises et des Français.

 

Mesdames et Messieurs, ma venue aujourd’hui, m’est apparue, nous est apparue, comme une exigence impérieuse. Non pas comme un simple devoir lié à la tradition, non pas comme une évidence naturelle, mais comme une nécessité absolue, après avoir célébré il y a quelques jours le débarquement allié libérateur.

 

Pourtant, nul doute, ce n’est pas sans appréhension que l’on aborde Oradour. Devant tant de violences, devant un tel anéantissement, que dire ? Que faire ? Les mots des hommes peuvent-ils exprimer ce que l’homme se refuse à concevoir ?

 

Mais parce que, tous, nous savons. Parce qu’Oradour ne peut et ne doit laisser indemne. Parce qu’Oradour interroge la conscience de chacun et la conscience collective, Oradour impose, exige l’action.

 

Agir, pour ne pas sombrer. C’est ce que vous avez fait, vous les sauveteurs, les premiers confrontés au néant. Vous, les premiers témoins et les familles, les villageois avoisinants. Vous les miraculés. Vous qu’Oradour laissera sans repos jusqu’au terme de vos propres vies.

 

Agir pour ne pas oublier. C’est ce que vous avez fait en refusant que l’outrage du temps ne s’ajoute à la tragédie. Alors, comme le général de Gaulle, vous l’avait enjoint dès la Libération, vous avez empêché que les preuves ne s’estompent et vous avez entretenu avec délicatesse cette terrible sépulture à ciel ouvert.

 

Agir pour ne pas désespérer de l’homme. L’homme capable de commettre cela, après avoir commis Tulle la veille, et avant de reprendre la route, tranquillement...

 

Agir pour affirmer la défaite irréversible des forces mortifères de la barbarie. Témoigner, rappeler les faits, comme il m’a paru nécessaire de le faire, pour vaincre définitivement ceux qui arrivent encore à se réclamer de cette folie ou qui veulent travestir l’histoire.

 

Agir pour ouvrir des perspectives d’avenir. C’est ce que vous avez fait en trouvant le chemin de la réconciliation, avec vos propres compatriotes, avec votre propre pays – il faut le dire –, puis avec celui de l’ennemi d’hier. Non sans incompréhensions parfois réciproques, non sans difficultés, vous y êtes parvenus.

 

Agir pour vous et pour toute notre Nation si longtemps meurtrie par les invasions et les occupations, par les révolutions, les terreurs et les guerres civiles, pour notre Nation toute entière qui n’aura guère été épargnée par le malheur. C’est la justification de la politique de mémoire, résolue et innovante, que nous conduisons.

 

Agir pour les autres villes et les autres villages, pour les autres lieux de culte qui, d’Ouest en Est, du Nord au Sud, en France et en Europe, en Afrique et ailleurs, en ce siècle et dans les précédents ont été brûlés, pillés, ravagés.

 

C’est ce que fait la France en se mobilisant pour le respect du droit, pour séparer les belligérants, pour ne pas laisser les crimes de masse impunis. Au sein des Nations Unies. Dans les instances judiciaires internationales. Et, bien sûr, au sein de notre Union européenne, pour interdire tout retour en arrière et pour offrir aux nouvelles générations un avenir radicalement meilleur.

 

Telle est la mission d’une France qui n’oublie pas, qui n’oubliera pas Oradour.

 

Avoir fait d’Oradour une source d’espoir, c’est, Mesdames et Messieurs, votre honneur. Il oblige la France, il engage l’Europe.