Allocution de M. Christian Poncelet, Président du Sénat, 10 juin 2001
Au début de cette semaine, au Sénat, j'accueillais l'émouvante cérémonie au cours de laquelle sont chaque année honorés, au terme d'un longue enquête, les Justes parmi les nations, les Français qui, au milieu des ténèbres, ont fait prévaloir l'humanité sur la barbarie.
Le peuple de France a permis à des milliers de juifs notamment mais aussi de communistes, de tsiganes, de résistants d'échapper au sort atroce que leur réservait le régime le plus scientifiquement barbare que le XX° siècle ait connu.
Aujourd'hui, je suis ici, parmi vous, dans cette région limousine où la résistance a été active, pour commémorer l'un des actes les plus atroces de cette guerre et en perpétuer avec vous le souvenir.
Cet horrible massacre, il était comme le dernier cri de la Bête immonde avant d'expirer. Partout, les maquisards harcelaient la division Das Reich. Le 6 juin 1944, quatre jours plus tôt, les Alliés avaient pris pied en Normandie, donnant le signal de la longue et inéluctable libération de la France.
Comme dans une rage de ne pouvoir faire triompher les forces du Mal, la division Das Reich, après les représailles de Tulle, a voulu ici leur donner une dernière victoire, donner à l'Ogre sa ration de sang, offrir un dernier sacrifice à ces divinités malfaisantes.
Ce massacre de sang froid, collectif, donnait à cet épisode une valeur de témoignage incomparable. Les ruines du village, laissées en l'état, contribuaient à la mémoire nationale.
Mais comment aujourd'hui ne pas saluer aussi les progrès de l'effort de mémoire ?
Comment ne pas relever les oublis et les failles. Lorrain, et plus particulièrement vosgien, je me souviens de mes proches, désemparés à la signature des accords de Munich, et comprenant bien plus vite que les politiques où la lâcheté collective nous conduirait. Compagnon politique du grand résistant Gilbert Grandval, figure de la résistance dans les Vosges, je sais les déchirures que cette guerre et la collaboration ont causé dans chaque village.
Ces déchirures, vous les avez connues ici et je ressens avec émotion le fait que le Président du Sénat soit invité ici aujourd'hui.
Pendant des années, aucune autorité de l’État, sauf le Général de Gaulle, ne fut admis ici. Le souvenir du procès de Bordeaux, des peines trop clémentes infligées aux assassins, de l'amnistie accordée au nom de l'unité nationale, furent pour vous des blessures béantes.
Le nom des parlementaires ayant voté l'amnistie, dont un ancien Président, étaient même affichés ici.
Aujourd'hui, la Nation ne considère plus que l'unité nationale justifie d'oublier ou d'excuser. Du procès de Bordeaux à un autre procès de Bordeaux, plus récent, la France, grâce en particulier à l'engagement du Président de la République, a accepté de ne plus entraver la recherche de la vérité.
Le Mémorial, inauguré il y a peu par le Chef de l'Etat, peu après que la dernière des survivantes ait disparu, perpétue le souvenir de ce massacre.
Puisse-t-il conjurer les forces du mal et contribuer à éviter de nouvelles tragédies ! Parce que le XXème°siècle nous a appris que la bête immonde sommeillait toujours au cœur même des plus vieilles civilisations, nous devons aujourd'hui, comme hier, ne ménager aucun effort pour ne jamais lui donner aucun aliment.
La succession d'erreurs qui a conduit, dans un enchaînement fatal à la seconde guerre mondiale, parfaitement prévue dès 1921 par Jacques Bainville, montre bien la responsabilité écrasante des gouvernants en temps de paix. Ils ignorent trop souvent qu'ils dansent toujours sur des volcans et que la paix, comme la liberté sont des conquêtes de chaque jour.
On recherche aujourd'hui à tort et à travers la responsabilité des élus pour des faits secondaires. Seule l'Histoire juge, hélas et trop tard, les responsabilités politiques, aux conséquences encore plus graves.
Voilà pourquoi tous nos efforts doivent être aujourd'hui tendus, au-delà du souvenir, à conjuguer les forces du Bien.
Pour d'abord, imaginer un projet européen exaltant qui détourne les peuples européens de voies déviantes. Pour mener ensuite, dans chacun de nos pays des politiques sages, conduites dans la proximité et qui, frottées à l'écoute des citoyens, évitent les conflits et les rancœurs.
C'est l'un des rôles du Sénat, comme des secondes chambres, d'éviter les emballements trop violents.
Aujourd'hui, recueillis dans le souvenir des disparus, il nous appartient de porter plus haut nos valeurs, pour être digne de leur sacrifice.