Allocution de M. Michel Mercier, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés, 10 Juin 2011
« Je suis honoré d’être auprès de vous aujourd’hui et de représenter le Président de la République et le gouvernement à cette commémoration nationale, afin de partager avec vous ce moment consacré à la mémoire des victimes et à la lutte contre la barbarie. Je veux par ma présence, exprimer, au nom de l’Etat, mon profond respect à celles et ceux qui chaque jour veillent à ce que jamais la mémoire du drame vécu par vos ancêtres à Oradour-sur-Glane ne soit oubliée.
67 ans ont passé, et jour après jour, année après année, rien n’est effacé. En traversant les rues de l’ancienne Oradour dévastée, toujours cette même douleur, cette même incompréhension, et ce même effroi saisissent le cœur de tous, face au massacre haineux et lâche subi par vos aînés.
On ne peut comprendre ce qui relève de l’inimaginable, ces actes d’une telle cruauté qu’ils nient l’humanité, dénués de sens éthique et de compassion, mais on a le devoir de se souvenir pour que le sacrifice devienne chemin et conduise les nations et leurs citoyens vers des horizons d’humanité, pour que cela ne recommence pas.
Se souvenir pour honorer la mémoire des 642 hommes, femmes et enfants, qui furent rassemblés et exécutés le 10 Juin 1944 par la division Das Reich. Eux qui périrent un matin de printemps, surpris et sidérés par la violence qui s’abattît sur eux, alors que les alliés venaient tout juste de débarquer sur les plages normandes. Ce village massacré et brûlé, où en quelques heures tout ne fût plus que cendre et silence glacé.
Ne pas oublier également qu’Oradour-sur-Glane a eu des frères et sœurs martyrs – à Tulle, à Villeneuve d’Ascq, à maillé en Touraine et dans bien d’autres villes et villages encore qui sont ici représentés par leurs élus ; n’oublions pas que ces morts furent précédés et suivis d’autres victimes du système d’extermination mis en place par le régime nazi. Aujourd’hui nous leur rendons hommage, ainsi qu’à toutes les victimes de crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Commémorer, c’est partager la douleur des familles qui ont perdu un proche, un parent – et cette douleur est encore très vive à Oradour. Les blessures furent d’autant plus grandes, que le massacre fut perpétré aussi par d’autres français enrôlés de force dans l’unité allemande. Le chemin du pardon fut long, car la rupture était profonde, mais, c’est la grandeur de l’homme, il se fit grâce à votre engagement sans relâche M. le Maire, qui permet à votre ville de regarder vers l’avenir.
Se rassembler, pour dire aussi notre reconnaissance à tous ceux qui ont combattu, résisté et sont morts pour la liberté et la paix dans lesquelles nous, citoyens de France, nous pouvons vivre aujourd’hui. Ces grands maquis, dont celui du Limousin, portèrent haut les valeurs qui fondent aujourd’hui encore notre République.
Partager ensemble ce moment, pour être aussi dans le temps de la réconciliation et je tiens à saluer la présence parmi nous de M. le Maire de Dachaü, c’est un symbole fort qui permet de réunir les villes martyres et celles qui ont eu à connaître l’horreur des camps de la mort : unies dans le même désespoir, unies dans la même exigence : plus jamais cela !
Et pourtant, nous le savons tous, l’indignité et la barbarie que nous ne voudrions plus jamais revoir est toujours présente parmi nous : Prêtes à initier de nouveaux massacres tels que les actes terroristes ou les crimes contre l’humanité que nos concitoyens et les autres peuples du monde subissent...il nous faut donc lutter, au quotidien, et cela passe par un devoir permanent de mémoire car l’oubli et la passivité sont les pires de nos ennemis !
Oradour-sur-Glane a fait le choix courageux de se reconstruire, sans effacer ses ruines, en luttant avec vigueur contre l’oubli et pour la dignité. De votre engagement, mesdames et Messieurs les élus, chers habitants, et avec le soutien du département et l’implication de l’Etat, est né le Centre de la Mémoire. Grâce à vous, cet endroit est vivant et très loin de toute désespérance, il porte au contraire l’espoir – parce que transmettre c’est savoir regarder le passé pour mieux construire l’avenir.
Il faut entendre ce que nous disent les rescapés de ces crimes odieux, ceux qui ont survécu et racontent. Ceux qui ont été les témoins de ces atrocités de la seconde guerre mondiale, en particulier la Shoah, nous quittent peu à peu, mais leur parole reste et doit rester vivante et forte – pour nous tous, et pour les jeunes générations en particulier. Parti il y a quelques jours à peine, Jorge Semprun n’est plus. Qui a lu ses écrits, qui a lu Primo Levi, et tant d’autres encore, entend ceux qui avec courage ont voulu transmettre cette expérience qui était pourtant si difficile et si douloureuse à dire. Il nous faut maintenant perpétuer leurs écrits, relayer leur humanité auprès de nos enfants, qui perdus parfois dans un monde sans repères, sont des auteurs et des victimes possibles, si nous n’y prenons pas garde.
La mémoire est notre devoir individuel et collectif, pour affirmer et affirmer encore que de telles atrocités ne doivent plus être ; pour prendre conscience que cela a été possible, et que si l’on ne poursuit pas inlassablement le combat contre l’obscurantisme et l’oppression cela se reproduira inexorablement. Parce que la folie des hommes a déjà ressurgi, que l’on pense aux victimes d’exactions au Rwanda, à Srebrenica et ailleurs encore. Ces hommes, femmes, enfants dont la vie a été subitement réduite à néant.
Nous devons nous mobiliser encore et toujours pour le respect du droit, pour le respect de la dignité de chaque homme, et pour que chaque fois qu’ils sont bafoués puisse passer la justice. Le thème que avez choisi cette année « De Nuremberg à La Haye », nous le dit, tous les criminels de guerre, les responsables de crimes contre l’humanité doivent être jugés : nous le devons aux victimes de ces exactions, à leur famille, à leurs proches ; nous le devons à la société humaine toute entière. Ces derniers jours un des responsables de massacres en ex-Yougoslavie a pu constater que l’on ne peut pas échapper à son destin, quel que soit le temps que doit prendre l’action des hommes, les tortionnaires doivent rendre des comptes et payer pour leurs crimes. La mission de cette justice est difficile, mais elle progresse chaque jour un peu plus, tout doit être mis en œuvre pour qu’elle soit soutenue car elle porte les valeurs essentielles de la dignité humaine.
Oradour-sur-Glane est un appel à notre conscience. Elle nous dicte de ne pas oublier, pour comprendre qu’aujourd’hui chacun de nous peut et doit agir en responsabilité. Gouvernants, citoyens, tous autant que nous sommes devons être dignes de ceux qui ont souffert, nous devons nous engager quotidiennement pour empêcher ces drames, et si malheureusement ils surviennent interrogeons-nous et agissons sans relâche pour faire vivre les valeurs qui fondent notre République, notre droit International, et qui font notre dignité d’Hommes ».